Home 2016 octobre 09 Lectures hebdomadaires – La parole du silence

Lectures hebdomadaires – La parole du silence

Laurence Freeman, osb, « La parole du silence », in : Le pouvoir de l’attention, Le Jour, 1995, pp. 50-55.

Le grand danger, qui a toujours existé mais qui est particulièrement évident aujourd’hui dans notre société soucieuse d’elle-même et narcissique, est de confondre introversion, obsession de soi et auto-analyse avec la véritable intériorité. … La vraie intériorité est l’opposé de l’introversion. Lorsque nous sommes éveillés à la présence qui nous habite, notre conscience est retournée, con-vertie, de sorte que nous ne nous préoccupons plus de nous-mêmes en anticipant ou nous remémorant des sentiments, des réactions, des désirs, des idées ou des rêves éveillés. Nous nous tournons vers quelque chose d’autre, ce qui ne nous est jamais facile.

Il serait plus facile, croyons-nous, de fuir l’introspection si nous savions précisément vers quoi nous tourner. Si seulement nous pouvions fixer notre attention sur un objet précis. Si seulement on pouvait représenter Dieu par une image. Mais Dieu, le vrai, ne peut jamais être une image. Les images de Dieu sont des dieux. Faire une image de Dieu ne nous conduit finalement qu’à contempler une image améliorée de nous-mêmes. Être vraiment intériorisé, ouvrir les yeux de notre cœur, c’est vivre dans la vision sans image qu’est la foi ; c’est cette vision-là qui nous permet de « voir Dieu ». Dans la foi, notre attention est soumise à un nouvel Esprit, elle n’est plus soumise à l’esprit du matérialisme, de l’égoïsme et de l’instinct de conservation, mais à … la foi qui est par nature dépossession.

[…] On peut entrevoir cela en pensant simplement à ces moments ou phases de notre vie où nous nous sommes sentis au comble de la paix, de la plénitude et de la joie, et en reconnaissant que ce furent des moments où nous ne possédions rien, mais où nous nous étions oubliés en quelque chose ou quelqu’un. Le passeport pour le Royaume doit porter le tampon de la pauvreté.

[…] Lorsque notre attention se porte sur nous-mêmes, nous sommes aveuglés par l’image de notre ego et tout nous distrait de Dieu. Lorsque notre attention est en Dieu, dans une vision de foi, tout révèle Dieu.

 

Après la méditation

 

Denise Levertov, “The Servant-Girl at Emmaus (A Painting by Velázquez)”, in The Stream & the Sapphire: Selected Poems on Religious Themes, [« La servante d’Emmaüs (tableau de Velázquez) ” Le ruisseau et le saphir: poèmes choisis sur des thèmes religieux], New York, New Directions, 1997, pp. 43-4.

Elle écoute, écoute, retenant
son souffle. Sûrement cette voix
est la sienne – celui
qui l’avait regardée, une fois, à travers la foule,
comme personne ne l’avait jamais regardée ?
Ne l’avait vue ? N’avait parlé comme si c’était pour elle ?

Sûrement ces mains étaient les siennes,
lui prenant à l’instant  la corbeille à pain des mains ?
Des mains qu’il avait posées sur des mourants qui s’en étaient sentis bien ?
Sûrement ce visage… ?

L’homme qu’ils avaient crucifié pour sédition et blasphème.
L’homme dont le corps avait disparu de sa tombe.
L’homme dont la rumeur disait maintenant que des femmes l’avaient vu ce matin, vivant ?

Ceux qui avaient invité cet homme à venir à leur table
ne reconnaissent pas encore avec qui ils sont assis.
Mais elle dans la cuisine, attrapant distraitement la cruche de vin qu’elle doit apporter,
jeune servante noire écoutant intensément,

tourne autour, voit
la lumière qu’il dégage
et est certaine.